1996. Sur le label allemand Network Medien paraît un album au titre énigmatique, Mila na Utamaduni, sous lequel sont ajoutés quelques mots à l’exotisme bon marché ( Spices de Zanzibar ) et la photographie d’un boutre cinglant les eaux de l’Océan Indien sur fond de soleil couchant … De quoi redouter un bon vieux produit attrape-touristes, une carte postale pour amateurs de clichés. Sauf qu’on y jette une oreille, puis deux, puis son âme tout entière ; et que toutes les préventions volent en éclats. Derrière cette devanture pas très avenante se cache un authentique trésor : la musique ondoyante du Culture Musical Club, orchestre d’une vingtaine de membres et fleuron historique du taarab de Zanzibar. Une miraculeuse tradition syncrétique, associant les chavirements d’une section de violons qui palpite comme un coeur amoureux, les délicates dérives modales du qanun ( cithare à cordes pincées ), de l’accordéon ou du oud, l’obsédant roulis des percussions, et les vagues de chants et choeurs féminins en swahili. C’est au sein du CMC, où il a fait ses armes, que le virtuose du qanun Rajab Suleiman a puisé l’inspiration et recruté certains des musiciens du groupe Kithara : une version 2.0 du taarab qui, sans jamais le dévoyer, modernise et cristallise la splendeur insulaire de cet art suspendu entre Afrique, Moyen-Orient, Inde et Europe, comme entre écriture savante et improvisation. Se distille ici une science innée du mélange, qui ne doit rien à des calculs ni à des ruses de marchands, mais tout à l’alchimie poétique du temps qui passe, des beautés qui transitent et se transmettent de pays en pays, de peuple en peuple, de siècle en siècle. Dans ses langoureux vertiges, qui semblent postuler l’existence d’un swing de la mélancolie, d’une douce ivresse de la rêverie, Kithara pousse la magie jusqu’à créer de somptueux mirages sonores – ainsi quand le qanun, aux timbres proches du cymbalum, se marie à l’accordéon pour enrober la voix de la chanteuse Saada Nassor, c’est dans un cabaret tzigane réinventé qu’on se croit transporté … Capiteux et grisant à souhait, le tout se goûte tel l’un de ces vins accomplis qui ont longuement et merveilleusement décanté.
BIOGRAPHIE
RAJAB SULEIMAN & KITHARA
S’il est un grand spécialiste du taarab, le joueur de qanun Rajab Suleiman s’est aussi initié aux répertoires et techniques des écoles turques, de la musique classique arabe, du jazz ou encore du baroque européen. Avec Kithara, dont il est le fondateur et dans lequel figure Makame Fiki, un des doyens de la musique de Zanzibar, il est l’auteur de Chungu, album paru en 2013 et huitième volume de la formidable série Zanzibara éditée par le label Buda Musique.
DISTRIBUTION
Qanun : Rajab Suleiman / bongos, dumbak, ngoma : Foum Faki / oud, chant : Makame Faki / accordéon : Mohamed Hassan / contrebasse : Mahmoud Juma / chant : Saada Nassor / chant, choeurs, rika : Hilda Mohamed / choeurs : Malitina Hassan, Rukia Juma.