Pauline Sonnic (28 ans) et Nolwenn Ferry (27 ans) sont chorégraphes, interprètes de danse contemporaine et créatrices de la compagnie lorientaise C’hoari. En juillet dernier, elles ont présenté trois pièces au festival Les Tombées de la Nuit : Tsef Zon(e), Distro et Barrez. Leur inspiration est bretonne, leur énergie est rock’n’roll.
Mêler danse contemporaine et tradition bretonne : d’où vous est venue l’idée ?
Pauline : Nolwenn s’est formée aux conservatoires de Metz et Lille. Moi à Lorient, puis à Nantes. On s’est rencontrées au conservatoire d’Angers. Pendant nos études, on s’est vite posé la question du rapport au public. La danse contemporaine peut avoir une facette élitiste, s’adresser toujours un peu au même public. Et en tant qu’artiste, on peut se retrouver à devoir rentrer dans un moule, porter un masque pour faire bonne impression.
Nolwenn : Je crois aussi qu’à la fin de notre formation, on se demandait qui on était. La danse est tellement chronophage, on devient tellement spécialiste, qu’on ne sait plus trop quelle humaine on est hors de la danseuse. Avec Pauline, on s’est rejointes sur nos racines. Elle a grandi à Lorient. Ma mère est bretonne. On est toutes les deux très touchées par la façon dont la danse et la musique bretonnes arrivent à rassembler, mélanger et inclure des gens très différents. En 2019, pour notre première de leur création, Tsef Zon(e), on a donc choisi de travailler sur le monde du fest-noz et de la danse bretonne.
Quels éléments bretons vous ont inspirées ?
Pauline : On a sillonné les fest-noz pour décortiquer la matière chorégraphie de la danse bretonne, en garder l’essence et la réinterpréter avec notre propre vocabulaire de jeunes et de danseuses contemporaines. Un des piliers, c’est le plaisir d’être ensemble. Dans la vie, ce n’est pas facile de créer des relations. Mais dans un fest-noz, on entre vite en contact avec les autres, c’est assez fascinant.
Nolwenn : Ensuite on a gardé l’aspect très physique des danses bretonnes. Elles sont fort ancrées dans le sol. Les pieds deviennent presque des instruments de percussion.
Pauline : Le rythme est hypnotique, vibrant et conduit à un lâcher prise collectif, comme une transe.
Nolwenn : Dans notre pièce, on a voulu explorer ce dépassement du corps. On donne tout. On va jusqu’aux bouts de nos limites. Et justement, ce qui nous fait tenir physiquement, c’est le lien entre nous. On sait que l’une est là pour l’autre, on se demande et on se donne continuellement de l’énergie. Dans certains spectacles de danse contemporaine, les chorégraphes nous invitent à garder des visages neutres, à rester dans notre bulle. On est vingt danseurs et danseuses sur scène mais finalement, on se sent seule. On aspirait à autre chose.
Vous sentez-vous spécialistes de la culture bretonne ?
Pauline : Ah non, on n’en a pas tous les codes, loin de là ! Moi j’allais en fest-noz petite avec mes parents, puis j’ai arrêté à l’adolescence. Je trouvais ça vieillot. Et je sentais trop de pression : vers le centre du cercle, il faut que la danse soit impeccable, comme de la dentelle. Au départ, on s’est plutôt interrogées sur notre légitimité. Mais que ce soit dans la danse contemporaine ou la culture bretonne, on veut sortir de l’idée qu’il faudrait être puriste pour y avoir accès. Tout le monde peut se sentir concerné et touché.
Nolwenn : On veut juste réintégrer et faire perdurer une culture ancestrale, comme un hommage. Et puis ces mélanges, ces croisements, ce sont des prétextes pour aller découvrir, rencontrer l’autre, apprendre des choses nouvelles : pour vivre, en fait.
De la tradition bretonne, qu’avez-vous préféré écarter ?
Pauline : On a choisi de la musique bretonne contemporaine. On avait moins envie d’un traditionnel « biniou bombarde ». Mais les motifs du kan ha diskan, par exemple, avec le chant et le contrechant, sont super intéressants pour la danse contemporaine.
Nolwenn : On bouscule aussi la question de genre. En danse bretonne, il y a une rigidité d’une autre époque sur ce que doivent danser les hommes et les femmes, comment chacun et chacune doit se comporter, s’habiller. Nous on veut sortir de ces normes. Dans notre seconde pièce, Distro, déclinée en une version pour les bars, Barrez, on nous a d’ailleurs beaucoup renvoyé que c’était rare et chouette de voir deux femmes avoir un propos sur les bistrots et les troquets.
Vos pièces Distro et Barrez sont une ode aux bars ?
Pauline : En campagne, plein de petits rades ont fermé. Pourtant c’est tellement important que perdurent des lieux de rassemblements, qui continuent à jouer la proximité, le local, le solidaire. Dans des vies tendues, où l’on suffoque parfois, on a besoin de se retrouver ensemble quelque part.
Nolwenn : Notre danse s’inspire de gestes du quotidien qu’on rejoue dans l’espace : essuyer un verre, tirer une bière, boire au comptoir. Mais on les détourne pour que ce ne soit trop caricatural. On ne veut pas faire du mime.
Vous avez dansé Barrez dans le bar Ty Anna tavarn : qu’est-ce que ça change ?
Nolwenn : Souvent, sur scène on se sent regardées. Dans un bar, on danse pour et avec les gens. Ça crée du lien. On partage un espace commun dont ils et elles font partie. Les gens s’autorisent davantage à nous parler, à nous faire des signes. Tout le monde se sent plus intégré. C’est moins une représentation qu’un jeu partagé.
Pauline : On aime proposer une version de nos spectacles dans l’espace public. Ça fait voyager les spectateurs. Ceux qui sont habitués aux théâtres en sortent et ceux qui sont au comptoir découvrent de nouvelles formes d’art, comme un cadeau. Pour nous, se mélanger et apprendre des différences des autres, c’est super important.
Propos recueillis par Audrey Guiller