Les Tombées de la Nuit les appellent les « habitants-complices ». Ce sont des Rennaises, Rennais et Métropolitains volontaires qui tiennent un rôle dans les spectacles proposés par l’association. Ni professionnels, ni spectateurs, ni bénévoles, ils sont invités à danser, guider, figurer, chanter ou servir un thé. Deux d’entre elles, Danielle et Alexandra, racontent leurs aventures.
Comment devient-on habitante-complice : après mûre réflexion ou sur un coup de tête ?
Danielle : Je fréquente le festival depuis 1980 comme spectatrice. Un jour, j’ai assisté au spectacle d’une chorale professionnelle. Parmi eux, qui faisaient une chorégraphie à terre, j’ai reconnu des amis rennais. Je leur ai demandé ce qu’ils fichaient là. J’ai alors appris l’existence des habitants-complices. Un réservoir de gens du coin, qui s’impliquent dans les spectacles des Tombées de la Nuit en répondant aux besoins des artistes. J’ai franchi le pas en m’inscrivant aux Veilleurs de Rennes, en 2012.
Alexandra : Moi aussi, c’est avec les Veilleurs que je suis devenue habitante-complice. Je suis Rennaise depuis 1974 et j’ai souvent vu des spectacles des Tombées de la Nuit. L’invitation à veiller m’a attirée. Mais le temps que je me décide, j’étais 700ème sur une liste d’attente. Puis les Tombées ont eu besoin d’accompagnateurs pour les Veilleurs et j’ai embarqué dans l’histoire.
Quel souvenir gardez-vous de cette première expérience ?
Alexandra : Le souffle coupé en découvrant Rennes du haut de la cahute des Veilleurs, perchée au-dessus de l’esplanade Charles-de-Gaulle. La rencontre avec plein de gens chaleureux.
Danielle : Je me rappelle avoir raconté mon expérience de veille à des amis qui m’ont demandé « mais à quoi ça sert ? ». « À rien », j’ai répondu. « Alors c’est génial ! », ils ont conclu. Je me souviens d’un Veilleur que j’ai accompagné, à qui j’ai expliqué tout le projet puis proposé un verre de rosé pour se désaltérer après sa veille. Je n’ai pris conscience qu’à la fin qu’il ne parlait pas français et qu’il était musulman. Ça s’appelle un râteau (rires).
Être habitantes-complices, cela vous a amenées à faire quoi exactement ?
Danser, chanter, écrire des textes, haranguer la foule, participer à un flashmob, enfiler un gilet jaune pour faire la circulation, accompagner des personnes autistes à un spectacle, servir du thé dans une station d’épuration, lancer des poudres colorées dans la rue, guider des gens dans les salons dorés de l’Hôtel de Ville, tricoter des pulls.
Comment choisissez-vous les projets auxquels vous participez ?
Alexandra : Lors de « Causeries » régulières, Les Tombées de la Nuit réunissent les habitants-complices. Ils nous présentent les projets à venir, nous demandent ce que l’on en pense et lancent des appels à participation. On discute. On s’inscrit. Et le lendemain on se réveille en se disant… « Non mais t’es complètement folle d’avoir fait ça ! »
Danielle : Ah, ah, c’est exactement ça ! À chaque fois je me dis : « Mais ma pauvre fille, dans quoi tu t’es encore embarquée ? »
Qu’est-ce qui vous plait dans ces expériences ?
Alexandra : Sortir de la routine et de sa zone de confort, vivre des choses hors du commun, faire ensemble, être lié aux autres participants, être surpris. À chaque fois, ça met en joie, tout simplement. Et puis on fait de notre mieux, mais on n’est pas professionnels. Les spectateurs sentent sûrement cela, j’espère que ça leur montre que l’art peut être vécu par tous.
Danielle : J’aime le côté un peu zinzin, le fait d’être en contact avec le milieu artistique, de donner bénévolement de soi. On sait d’où on part mais jamais où on arrive. On est comme des aventuriers, en missions tantôt ordinaires, tantôt extravagantes. On croque dans la vie avec d’autres enthousiastes. Ce que j’aime aussi, c’est le support de l’équipe de choc des Tombées de la Nuit. Ils sont à la fois sérieux, fous, organisés et gentils. Même si on est des petites mains, ils nous font confiance et nous considèrent.
Votre meilleur souvenir ?
Alexandra : Chanter Alexandrie Alexandra de Claude François, sur scène pendant le Love Bal. Il m’a fallu deux verres de vin blanc et une séance de relaxation pour oser chanter seule en public. Je ne m’en serais jamais crue capable. Chez moi, tout le monde me dit que je chante faux…
Danielle : Danser à l’intérieur de la prison des femmes, pour le projet Handbag. C’était intense, très émouvant ce partage et ce contact avec les femmes détenues.
Le pire ?
Danielle : Un petit moment de solitude pendant la performance Dominoes… Je surveillais une section de dominos géants pour que personne ne les touche et risque de les faire tomber. Un homme s’est approché tout près d’une brique. J’ai commencé à hurler, je lui presque sauté dessus ! C’était le metteur en scène…
Alexandra : Je n’en vois aucun. Certaines missions sont moins exaltantes que d’autres, certes.
Danielle : Je trouve cela intéressant justement. Une fois on se sent en haut de l’affiche, la fois suivante on accepte une tâche ordinaire. Ça remet les pendules à l’heure et cela entretient l’envie.
Votre envie pour la suite, justement ?
Danielle : Que la fête continue !
Alexandra : Oh oui et le plus longtemps possible…
Propos recueillis par Audrey Guiller