Pour Les Tombées de la Nuit aussi, l’été s’est avéré hors norme. Le festival, annulé, a laissé place à six rendez-vous surprise. Claude Guinard, directeur artistique de la structure, ne nie pas la frustration de son équipe. Mais comment manquer une telle occasion de se réinterroger et de réinventer ?
Comment la pandémie a-t-elle affecté Les Tombées de la Nuit ?
Claude Guinard : Le festival a été annulé. C’est la deuxième fois seulement en dix-huit ans. Nous avons été embarqués dans un tsunami. En faisant profil bas, car nous étions bien conscients d’être tous dans le même bateau. La période a été marquée par l’incertitude. On ajustait au jour le jour. Mais les collectivités nous ont annoncé d’emblée qu’elles maintenaient leurs subventions. On a donc pu honorer les contrats de tous les artistes, techniciens et prestataires réguliers.
Vous vous êtes demandé comment allaient faire les gens sans culture ?
Prétendre que les gens ont absolument besoin de nous et de la culture ? Non ! Qui serais-je pour parler ainsi à leur place ? Je n’ai pas voulu proposer immédiatement une alternative au festival. On risquait d’être à côté de la plaque. On avait besoin de réfléchir, de savoir comment les gens ressentaient cette période. L’espace public étant notre terrain de jeu, il nous fallait observer comment la ville allait recommencer à vivre. Et attendre le déconfinement. Je pense que cette période a été une perche pour que le monde culturel descende, si besoin, de la tour d’ivoire où il est parfois monté. Cet été, nous avons invité le suisse Georg Traber à construire une incroyable tour éphémère de 10 mètres, dalle Kennedy. Une dame l’observait, interloquée. Je lui ai demandé si elle avait besoin d’information. Elle m’a répondu : « Oui, je cherche un endroit où faire des photocopies ». Ça ramène à la réalité ceux qui l’auraient quittée. Le secteur culturel doit rester humble. Ensuite, la dame m’a interrogé sur la performance.
Qu’avez-vous voulu proposer à la place du festival ?
Malgré les complications liées à la distanciation physique, à la nécessité de masques, de gel, de messages d’avertissement au public, il était important pour nous de ne pas laisser tomber l’espace public. Nous avons imaginé six rendez-vous. Autour de projets qui permettaient de rencontrer les habitants. Comme La Sonothèque Nomade, où deux artistes ont collecté des berceuses et chants parmi les Rennais de tous horizons. Ou bien la sculpture mouvante de Johann Le Guillerm. Les artistes ont pris le temps, au jour le jour, d’aller à la rencontre des spectateurs, de s’impliquer. La crise a relancé un débat pertinent et nécessaire : dans la culture aussi, n’y a-t-il pas surproduction et surconsommation ? Une autre voie est possible.
Le jeu, le rire, l’amusement avaient encore leur place cet été ?
Oui ! Pour garder la flamme, on a eu envie de jouer le jeu de la surprise. On a proposé des spectacles dans des lieux plutôt passants, mais sans rien annoncer. Cela a bousculé l’équipe : comment communique-t-on sur les spectacles alors ? N’est-ce pas risqué ? À chaque fois, on distillait quelques indices. Cette période m’a donné encore plus envie de ne pas trop prévoir à l’avance, de m’adapter au présent, de proposer des rendez-vous frais, spontanés. Le contraire d’un abonnement à une salle de spectacle… Et voilà comment, complètement à l’improviste, La Navette du Municipal Bal a réussi à entrainer 50 Rennais dans une folle chenille sans contact, sur Le Mail. Des policiers, qui observaient le manège, ont dit : « Ça fait plaisir à voir ! »
Recueilli par Audrey Guiller