Dans une ferme, un chantier, un temple : Les Tombées de la Nuit proposent des concerts hors des salles habituelles. Pourquoi ? 3 questions à Claude Guinard, directeur artistique des Tombées de la Nuit.
Comment choisissez-vous le « bon » lieu pour un concert ?
Claude Guinard : Quand je découvre des musiciens, je me demande presque automatiquement quel lieu collerait avec leur univers sonore. J’imagine la lumière, l’acoustique, comment ça pourrait sonner. Surtout, je me représente où se placeraient les spectateurs par rapport aux artistes. Pour moi, le lieu induit la manière de partager avec le public. Toutes ces questions auxquelles on réfléchit plus habituellement pour les spectacles vivants, je me les pose aussi pour des concerts.
Pourquoi sortir les musiciens des salles de concerts ?
Pour essayer de casser les codes habituels de la représentation. Pourquoi un groupe de rock devrait-il forcément jouer à 22h dans un bar ? On peut bousculer ça, réfléchir à d’autres lieux possibles. En 2018, on a fait jouer le musicien belge Sharko chez un garagiste, un fleuriste, dans une loge à peine rangée du Liberté. On joue, avec le public, avec la ville. Cette année, c’est avec le duo britannique Samana qu’on a organisé des concerts itinérants. Dans un temple protestant, un cloître, un jardin. Ils ont adoré. La liste des chansons était la même, mais à chaque fois, l’ambiance a été unique. La nature environnante, l’heure, l’énergie nourrissent différemment leur présence au public, leur rapport à leur musique.
Le lieu servirait la musique ?
C’est l’idée. Le lieu doit rendre la musique encore plus puissante, tout en respectant l’oeuvre. Je ne cherche pas à organiser à tout prix des concerts dans des lieux décalés. On risquerait de faire passer la musique au second plan. Je me souviens d’un concert de Stéphane Hardy, au lever du soleil, dans la serre d’un lycée agricole. C’était magique. Ou de la prestation du bluesman The Chocolate Genius à l’opéra. Il pleuvait cet après-midi-là et les dorures et la chaleur de l’opéra ont créé une atmosphère incroyable. Le lieu nourrit la proposition de l’artiste. Et il perturbe et reconditionne le spectateur, qui devient encore plus attentif. Quand j’ai proposé au groupe de rock Santa Cruz de jouer, en journée, dans une cour de ferme, ils ont eu peur que je ne les prenne pour des clowns. Puis ils ont été convaincus. Réfléchir à des lieux de concert différents peut bonifier les conditions d’écoute. En disposant le public tout autour d’eux, on avait replacé la musique au coeur.
Audrey Guiller