Photo : © Nous Sommes © Nicolas Joubard
— Publié le 9 juillet 2017 —
Entretien avec Laure Terrier de la Cie Jeanne Simone

C’est une histoire commune qui est tissée dans l’espace commun.
Laure Terrier, chorégraphe de la compagnie Jeanne Simone

« Je suis….en retard, à ma place, je suis les jambes, la rue…
Nous sommes les nouveaux contrats de travail
Je suis la contestation, la prononciation.
Je suis une énumération, la danse,
Je suis la tendresse….. »

Ce sont les phrases des compositions instantanées des danseurs de « Nous sommes ».
Une chorégraphie qui nous relie puisque les danseurs sont en intime relation avec eux-mêmes, l’espace et les spectateurs. Dans cette interview, Laure Terrier nous explique sa démarche de travail à travers ce qu’elle nomme la composition instantanée.

 

Les textes résonnent beaucoup dans ton spectacle, selon toi pourquoi ajouter du texte à la composition chorégraphique. Le récit du corps ne se suffirait-il pas à lui-même ?

Laure Terrier : Non, je ne pense pas que le récit du corps soit insuffisant. Par contre, cette pièce, qui est la onzième pièce de la compagnie en douze ans est une pièce dans laquelle ça danse et ça parle. Pour moi, je parle du corps, de l’intérieur du corps et de l’extérieur. Je parle de l’environnement dans lequel nous sommes les uns et les autres. Nous sommes constitués de chaire, de matière, d’os, de liquide, d’organes……et ces émotions se transforment en intentions, ces intentions s’inscrivent dans l’espace, et tout ça est une histoire de vibration que nous recevons sur la peau, sur les tympans, dans l’œil.

Dans ces vibrations, il y a la vibration du mot, du corps. Dans cette vibration, je ne pense pas qu’à nous. Nous travaillons en coprésence avec l’usager du lieu et nos corps. Ce n’est pas que de la danse. Nous sommes en vibration avec le lieu.

 

Ton parcours de danseuse est- il lié à la danse contact et l’improvisation ?

Laure Terrier : J’aime l’appeler la composition instantanée et il y a toute une préparation de soi avec le body mind centering. C’est plus cette pratique qui est importante.

Tout ce que je fais, c’est par rapport à l’usage du lieu. Tout est en appui à l’air, au sol, à l’usage du lieu….au moment présent. L’intention est de ne pas être hors sol, de ne pas créer une pièce ici comme ailleurs.

 

Pourtant le spectacle est écrit à l’avance ?

Laure Terrier : Il y a encore une improvisation mais tout est structuré dans l’espace. Cette structuration demande à chaque interprète d’être en résonance avec tout ce qui est en train de se passer.

Je connais la structure et je la vois jouer. Si on éditait les textes les uns après les autres, on reconnaîtrait une structure de texte, des mots, mais ils sont différents tous les jours et c’est la même chose pour le corps.

Il y a celui qui va travailler pour le sol ou la suspension…il y a l’entrée de Guillaume avec une série de « Je suis ». Il pose un contexte réel qui l’implique lui, il se dit devant des gens.

Et puis, il y a sa perception géopolitique, sa vision politique : « Je suis, je suis un, nous sommes…… »

Puis le « on » qui inclut le groupe spectateur dans le spectacle.

 

Les textes sont-ils écrits par les comédiens ?

Laure Terrier : Oui, ce ne sont jamais les mêmes. On pourrait les éditer les uns après les autres mais ce ne sont jamais les mêmes. Ils ont la même forme narrative mais ils sont différents.

La photo de famille de fin, cette famille, ce sont les huit personnages, les spectateurs et les gens de la place.

La comédienne Anne Laure va dans une voix plus vibrante. Elle parle de la vie, de notre passage sur terre, de la mort. Ça parle de la beauté fugace, il arrive qu’elle parle plus de la beauté du corps, mais aujourd’hui, pas….

Céline dit à chaque spectacle qu’elle porte des culottes larges…..Laëtitia parle de sa naissance en Bretagne et de cette matière de Bretagne pour elle. Elle en parle tous les jours. C’est quelque chose qu’elle a en elle, avec une relation à cette matière.

 

Dans votre création, les moments sont- ils chorégraphiés ?

Laure Terrier : Oui, c’est pour cette raison que je ne dis pas improvisation mais composition instantanée.

Improvisation donne l’idée que c’est libre. Ce qui est vrai, c’est que nous partons du lieu, de la composition du moment, mais là, c’est de la composition instantanée.

Tout est cadré. Je sais où se vivent et se posent les choses.

 

La place de la création sonore est très importante, comment cela se crée avec le lieu ?

Laure Terrier : C’est joué en direct sauf Le chostakovitch de la fin. Sinon, tout est placé. Les intentions se remettent en place à chaque lieu.

Ce spectacle demande huit heures de mise en place par lieu.

Il nous faut huit heures pour la tisser avec l’endroit. Là, on a une énergie complètement renversée. Parfois les usagers sont plus importants que le lieu.

Ce qui est intéressant quand il y a peu de spectateurs, c’est d’observer les usagers, les traversées, les flux.

Aujourd’hui, le placement du public s’est déployé comme un spectacle. Il est intéressant de voir les danseurs se mouvoir à travers l’espace des usagers du lieu.

 

Si le spectacle est créé à partir de cette composition instantanée, comment est-il créé alors ?

Laure Terrier : Il nous a fallu une année de recherche sur la parole avec l’appui d’Anne Laure Pigache en poésie sonore. Elle fait des créations vocales. On a travaillé avec toutes les compétences de chacun. C’est aussi un travail d’écoute de l’environnement.

Et puis, se montrer, se laisser toucher par le fait de se laisser toucher par la présence d’être aux autres car on a tous des subterfuges pour se cacher et sans être dans du voyeurisme ; et puis, construire le groupe, voir comment il traverse avec les expériences proposées….et moi aussi me laisser dérivées.

Au départ, c’était dix solos qui se perdent, se retrouvent pour les montrer eux individuellement.

Au bout d’un an, je me suis dit que pour les voir vraiment, il faut les voir en groupe. Ce qui m’importe c’est de voir un lieu. Le fixe s’est alors imposé pour avoir un point de vue.

Le fixe qui permet à la rétine de se poser, de faire quatre plans.

Le premier, celui du théâtre avec un solo devant où vous se passer les choses de groupe. Puis, trois plans, enfin le 180°, les hauteurs, la façon d’habiter, l’utilisation des appartements, et l’écriture du son qui mettent le spectateur au premier plan pour qu’on puisse lui parler comme à l’oreille alors qu’on est à 100 mètres.

C’est une histoire commune qui est tissée dans l’espace commun.

Roseline Pontgelard

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